Guy L. Coté et le film Tranquillement, pas vite
Rendre hommage à Guy L. Coté, évoquer le film Tranquillement, pas vite et parler de la Communauté que nous formions alors et sans l’existence de laquelle ce film n’aurait pas pu se réaliser, est-il possible sans faire état d’un certain sentiment de tristesse qui — tout soudain! — nous étreint ?
Plusieurs membres de cette Communauté fondée il y a plus de quarante ans ont en effet disparu. Guy nous a quittés trop jeune, il y a déjà près de 20 ans, ainsi que plusieurs autres : Laetitia, dans un accident d’avion, Robert, à la suite d’une longue maladie…
En ce début d’année 2014, nous sommes plusieurs à nous rendre régulièrement au chevet d’Yves Gosselin, notre animateur fondateur. Nous allons visiter à l’hôpital un ami, un compagnon, un frère qui vit des jours difficiles.
D’autres à Toronto, à Memramcook ou à Paris éprouvent les mêmes sentiments à l’endroit d’Yves, sans toutefois pouvoir se rendre à son chevet. Que des personnes de cette Communauté, après 40 ans, manifestent une telle solidarité, témoigne de la profondeur des expériences de fraternité qui furent vécues alors. Aujourd’hui, quand nous nous rencontrons, nous constatons que cette fraternité est toujours aussi vivante même si les cheminements de vie des uns et des autres offrent une très grande grande diversité.
La Communauté de base
En 1968, quelques personnes se réunissaient au Couvent des Dominicains avec pour objectif de vivre une expérience de foi à l’intérieur de ce qu’on appelait alors une Communauté de base. Nous étions les enfants, à la fois, de la Révolution tranquille et du concile Vatican II, c’est tout dire. Rapidement, d’autres personnes se joignent à ce premier noyau.
Fait remarquable et peu souvent noté, les personnes de notre communauté provenaient de milieux fort variés. Guy L. Coté, chimiste de formation, était allé à Oxford avec une bourse Rhodes pour y faire un doctorat en chimie. Il a choisi, il est vrai, de faire du cinéma, mais sa formation initiale de scientifique l’a profondément marqué. Nous étions, d’ailleurs, plusieurs scientifiques, physiciens, biochimiste, biophysicienne, ingénieurs, informaticiens et, en tant que tels, nous avions certaines connivences avec les manières de penser de Guy. Plusieurs des nôtres venaient du milieu de la philosophie, de la théologie et des sciences humaines et sociales. Le monde des affaires était aussi représenté. Sur le plan politique, il y avait des indépendantistes et des fédéralistes; la grande question politique des années ’70 rendait certains indécis. Quelques familles avaient déjà de jeunes enfants, d’autres attendaient un bébé pendant ces années-là et il y avait aussi des célibataires, dont un groupe d’étudiants universitaires. La plupart des membres étaient québécois, mais il y avait aussi de nouveaux Canadiens venant de France, de Belgique, du Royaume-Uni.
Malgré cette grande diversité de formation et d’option politique, il y avait au sein de la Communauté une entente et une vision commune de la vie.
Dès le début, nous avions décidé que la communauté serait dirigée par deux animateurs élus parmi nos membres. Les deux premiers animateurs furent Yves Gosselin, o.p. et Louis Rousseau. Les animateurs jouaient un rôle fondamental pour veiller à la bonne marche de la Communauté et à l’entente entre les membres. Ils avaient quelquefois à régler des conflits. Ils étaient responsables de susciter la créativité, de maintenir les objectifs retenus et animer les différentes activités.
Nous avions décidé que la vie de la communauté serait axée selon quatre lignes de force :
- la fraternité,
- les engagements dans le monde,
- la prière et les célébrations
- et finalement le ressourcement et l’approfondissement de la foi.
La fraternité chrétienne dont parle Jean-Paul Audet dans le film Tranquillement, pas vite, nous l’avons vécue. C’était une fraternité qui, habituellement, allait de soi, mais qui pouvait aussi poser quelques problèmes. Le film traduit bien le climat de chaleur humaine qui était vécu entre nous.
Nous nous réunissions chaque dimanche, habituellement chez un des membres et nous participions à l’eucharistie qui était présidée par Yves Gosselin, dominicain et ultérieurement par Bernard Carrière, jésuite.
Nous passions quelques week-ends ensemble, souvent à l’extérieur de Montréal, pour vivre un quotidien dans un climat de réflexion, de fraternité et de prière. En particulier, nous accordions une grande importance à la célébration des Jours saints et de Pâques. Les célébrations d’accueil des nouveaux enfants et les baptêmes faisaient l’objet de grandes célébrations auxquelles parents et amis étaient invités.
Tranquillement, pas vite
En 1969, Guy, Nancy et leurs enfants entrent dans la communauté : ils participent pleinement aux activités et aux célébrations. Un peu plus tard, Guy nous propose de faire un film sur la situation de la religion au Québec. Après de longues discussions, une décision est prise — non unanime, faut-il le préciser? — et un petit groupe se forme afin d’aider Guy dans la réalisation de ce film. De nombreuses rencontres se tiennent au sous-sol de la maison de la rue Rockland. On décide de faire un film en deux volets. Le premier volet traite de la pratique religieuse en paroisse traditionnelle et des difficultés de la garder vivante. La seconde partie est axée sur la vie de notre petite communauté. Chaque partie du film commence par un texte important lu par Guy et un témoignage de Jean-Paul Audet. Ce texte et ce témoignage résument très bien le film et le reste du film vise tout simplement à les illustrer.
Au début, on tourne avec du matériel magnétique (cassettes vidéo BÊTA) pour habituer tout le monde à la présence de la caméra. Guy et le petit groupe s’engagent dans de longues discussions sur les sujets à traiter. Pendant que l’équipe technique travaille, la Communauté continue à vivre, souvent en oubliant la présence de la caméra et du micro. Guy et son équipe s’occupent du tournage pour le premier volet du film et on se retrouve dans la salle de montage ou dans une salle de projection de l’ONF. Il faudra choisir une heure ou deux parmi une trentaine d’heures de matériel tourné et ça ne se fera pas sans d’éternelles discussions. Certains voudraient garder telles ou telles séquences que d’autres rejettent. Finalement, on arrive à un film en deux volets qui donne satisfaction à une bonne majorité. Plusieurs des séquences non retenues étaient pourtant très bonnes et très pertinentes. On les regrettera. On peut penser, par exemple, aux réflexions d’Yves dans son canot sur le lac Ouareau à St-Donat.
Nous nous souvenons de Guy en tant que membre de notre Communauté avec affection et avec une admiration toute particulière quand nous pensons au travail accompli par notre compagnon pour mener à terme ce film qui, encore maintenant, nous tient tant à cœur. Infatigable Guy! Quelle énergie! Quelle ténacité! Tant d’imagination pour dépasser, au jour à la journée, les écueils surgissant force le respect. Rien n’était à son épreuve. Parfois, il n’en faisait qu’à sa tête; et, à d’autres occasions, contre toute attente, il abandonnait, à notre grand étonnement, des pans entiers du travail déjà accompli. Il avait en toutes circonstances sinon une solution de rechange, du moins toujours de derrière les fagots quelques propositions nouvelles, question de rebondir! Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du défi. Nous gardons un souvenir étonné et ému de son ascendant. Comment ne pas penser au Guy-L. Coté à l’œuvre tel que nous l’avons connu quand nous lisons ces vers de Boileau?
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Au début des années ’70, Guy a eu la remarquable intuition qu’il fallait faire un film sur l’Église. Ce film a été fait.
Guy avait vu juste; son film Tranquillement, pas vite dit à sa manière la situation de l’Église du moment. On aurait pensé que ce film aurait vieilli, mais sa pertinence reste entière, ne serait-ce qu’à la lumière de la récente nomination du pape François. Deux Églises : une qui tient à garder les anciennes façons de faire et une autre dont le regard est tourné vers l’avenir. Le film a été montré dans plusieurs milieux, dont celui de l’éducation. Comme tous les films de l’ONF, il est maintenant disponible gratuitement sur le site Internet de l’ONF. Dernièrement, la Communauté chrétienne de St-Albert-le-Grand en a visionné quelques séquences dans une rencontre et les réactions ont été très positives. Tous semblaient se reconnaître dans les situations vécues il y a 40 ans par la petite communauté de croyants du deuxième volet du film. Le premier volet qui montre une Église qui se cherche et qui envisage la possibilité de détruire son lieu de culte, est encore pertinent si on en juge par ce qui est vécu maintenant dans bien des paroisses au Québec.
Durant le tournage, on nous avait prévenus qu’à la suite du film et à cause du film, la Communauté risquait de disparaître. Le risque était réel. La vitalité de la Communauté, la pugnacité dévouée du petit groupe assistant Guy et le talent de ce dernier ont fait qu’il n’en fut rien. La Communauté de base a cessé ses activités bien des années après la fabrication du film et pour des raisons historiques du moment. Elle a cessé ses activités, mais a-t-elle cessé d’exister pour autant? Quand on voit les anciens se rencontrer, par exemple à la célébration de l’eucharistie à St-Albert-le-Grand, on a bien l’impression qu’elle existe toujours. Plusieurs membres de la Communauté de base sont maintenant dispersés ici et là. Quatre ou cinq sont maintenant retournés ou établis à Paris et on essaye de se rencontrer autant que faire se peut. D’autres sont à Toronto, une psychiatre, un informaticien et une ingénieure qui est religieuse dans la Communauté des Xavières. Chaque fois qu’on se revoit, la vie de la Communauté revient et tout se passe comme si c’était hier que nous étions ensemble. C’est toujours une grande joie de nous rencontrer. À ce titre, le film Tranquillement, pas vite est pour nous, désormais, un lieu de mémoire; et, pour le Québec, une précieuse pièce d’archive.
La vie continue
Chacun de nous, dans sa cité et dans ses activités, s’occupe de sa famille et de sa profession. Plusieurs ont des activités de personnes à la retraite; souvent en tant que bénévoles et dans différents organismes ici et là. Mais tous reconnaissent que la période de leur vie au sein de la Communauté de base, les aura marqués à jamais. La chaleur qui se dégage des rencontres entre nous, encore maintenant, ne peut mentir. Ce fut une expérience de vie pleine de chaleur, de fraternité, de bonheur dans la foi en la personne du Christ. Jean-Paul Audet, admirablement saisi par la caméra de Guy L. Coté, avait raison.
C’est l’évangéliste Jean qui faisait dire au Christ :
C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés.
Jean-Robert Derome et Pierre Feuvrier
Lundi 13 janvier 2014