Artisan de l’ONF

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Guy L. Coté: l’homme multiple
Par Marc St-Pierre, conservateur de collection

Homme de conviction, d’engagement, de foi, de tous les métiers, esprit éclectique, homme multiple, Guy L. Coté aura eu un parcours marqué par l’engagement et la polyvalence. Celui qu’il a fait à l’ONF n’échappe pas à cette règle. Au cours d’une carrière qui aura duré 35 ans, il sera producteur, cinéaste, monteur, scénariste, et même interprète; un camée où il joue un « socio-aliénologue » dans la satire de Robert Awad, L’affaire Bronswik (1978).

Originaire d’Ottawa, il entre à l’ONF en 1952 alors que l’organisme se trouve dans la capitale nationale. Il fait partie de la première génération de francophones embauchés à l’ONF. Il travaille au sein du célèbre « Unit B » sous la direction du producteur Tom Daly. Il débute comme assistant de Stanley Jackson sur le film Shyness (1953), puis passe rapidement à la réalisation. Son premier film, Winter in Canada (1953), qui trace un parallèle entre la vie en hiver de deux jeunes garçons vivant dans des provinces canadiennes différentes, s’inscrit parfaitement dans le mandat de l’ONF de l’époque, soit faire connaître et comprendre le Canada aux Canadiens et aux autres nations.

Les films qui suivent témoignent également de ce mandat tout en poursuivant la tradition documentaire instaurée par John Grierson, fondateur et premier commissaire de l’ONF. Malgré leur facture traditionnelle, ces films se démarquent par la maîtrise de leur sujet et le lyrisme de leurs images. On pense aux paysages enneigés qui bordent la ligne de chemin de fer reliant Revelstoke à Field en Colombie-Britannique dans Railroaders (1958), à ces images de pêche miraculeuse en Nouvelle-Écosse, où les filets remplis de poissons se déversent sur le quai des bateaux dans Fishermen (1958) et aux images de ces hommes qui doivent dévisser à mains nues les énormes tiges qui sondent le sol à la recherche de pétrole dans Roughnecks : The Story of Oil Drillers (1960). Il faut aussi mentionner l’originalité et la justesse des trames sonores des films de cette époque. Cattle Ranch (1961), un film sur la vie des cowboys dans un ranch de Kamloops (CB), dont la trame sonore est signée par Peter Seeger, chantre américain de la musique folk, récemment disparu, en est un bon exemple. Ces quatre films qui font partie de la série Social Geography, dont les trois premiers forment une trilogie sur les métiers, seront d’ailleurs primés dans plusieurs festivals du monde (Berlin, Montréal, Locarno, Rome, San Francisco).

Au début des années 1960, Guy L. Coté collabore avec une nouvelle génération de cinéastes de la production anglaise qui  cherchent à réinventer le documentaire, en montant Runner (1962) et Toronto Jazz (1963) de Don Owen, et Lonely Boy (1962) de Wolf Koenig et Roman Kroitor. En 1962, le cinéaste tourne Kindergarten. Ce film marque une rupture avec sa production antérieure alors que Georges Dufaux, à la caméra, et Marcel carrière, au son, tous deux membres de l’équipe française, collaborent avec lui. L’influence du cinéma direct, cher à l’équipe française de l’époque, se fait sentir dans ce film à hauteur d’enfants, qui s’immisce dans une classe de maternelle d’une école de Montréal. À mi-chemin entre le documentaire traditionnel et le cinéma direct, sorte de film dans un film alors que le réalisateur nous montre en même temps le travail de Dufaux à la caméra pendant le tournage, comme s’il voulait prendre ses distances par rapport à la technique du direct, Kindergarten annonce le passage du cinéaste à l’équipe française.

Après un détour du côté de la science, alors qu’il réalise pour le compte du Conseil national de recherches du Canada, An Essay on Science (1964), Guy L. Coté se joint à la production française. Alors que le Québec est en pleine transformation sociale, au cœur d’une Révolution tranquille, et que la plupart des cinéastes du côté français veulent témoigner de ses bouleversements, Guy L. Coté part en France tourner deux films sur les sciences occultes, Regards sur l’occultisme – Magie et miracles (1965) et Regards sur l’occultisme – Science et esprits (1965). Ce choix témoigne de l’attitude du cinéaste d’aller à contre-courant quant au sujet de ses films et marque le début d’une œuvre en marge qu’il développera par la suite, en s’intéressant, entre autres, aux questions religieuses et au sort des aînés.

Au milieu des années 1960, il se consacre entièrement à la production. De 1966 à 1971, il produira plusieurs films documentaires ou de fiction qui marqueront la production française. Ceux de jeunes cinéastes de talent comme Jacques Leduc (Chantal : en vrac, 1967, Nominigue… depuis qu’il existe,1967), Denys Arcand (On est au coton,1970) ou de cinéastes chevronnés comme Pierre Perrault (Le règne du jour, 1967, Un pays sans bon sens,1970, L’Acadie l’Acadie?!?, coréalisé avec M. Brault, 1971), Michel Brault (Éloge du Chiac, 1969) et Gilles Groulx (Où êtes-vous donc?, 1969). Il devient d’ailleurs en 1969 chef du studio documentaire; poste qu’il quittera un an plus tard afin de revenir à son métier de cinéaste.

Fidèle à cette idée d’aller à contre-courant, brièvement évoquée plus haut, Guy L. Coté revient à la réalisation et s’intéresse au début des années 1970 aux questions religieuses. Il réalise deux films sur ce thème : Tranquillement pas vite (1972) et Les deux côtés de la médaille (1974). Le premier film comprend deux parties : Que s’est-il donc passé?, qui s’interroge sur la désagrégation de la religion catholique au Québec et Communauté de base, qui relate une expérience de reconstruction religieuse, celle d’une communauté à laquelle appartient le cinéaste. Les deux côtés de la médaille est également présenté en deux parties : Race de bronze et Risquer sa peau. Dans ce film, le cinéaste fait de deux prêtres missionnaires canadiens en mission en Bolivie, un installé dans un village de l’Altiplano, et l’autre à La Paz, la capitale du pays, ses deux personnages principaux.

Au milieu des années 1970, Guy L. Coté fonde avec quelques concitoyens, dont son ami et directeur de l’organisme Les petits frères des pauvres, Hubert de Ravinel, L’âge et la vie, un regroupement sans but lucratif qui veut contribuer à un changement dans l’attitude de la population face au vieillissement. Toutes sortes d’activités de sensibilisation sont organisées, dont un festival de films qui mettent en scène des personnes âgées. C’est dans ce contexte que le cinéaste tourne, avec la collaboration de son ami, plusieurs films sur le sujet.

Le projet prend d’abord la forme d’un seul film intitulé L’attente. Cette attente, c’est celle des personnes âgées face à la mort. Grâce à l’engagement d’Hubert de Ravinel, Guy L. Coté obtient un accès privilégié aux activités des Petits frères et dénichent plusieurs personnages pour son film. Le projet s’incarnera finalement dans quatre films, Monsieur Journault (1976), qui dépeint le quotidien d’un « jeune homme » de 90 ans, Blanche et Claire (1976), qui raconte la tendre amitié entre deux femmes d’âges différents, Les vieux amis (1976), qui nous emmène à bord du minibus des Petits frères et Rose et monsieur Charbonneau (1976), un film choc sur un couple âgé qui refuse toute aide extérieure et vit reclus dans un taudis d’un quartier défavorisé de Montréal.

À la fin des années 1970, Guy L. Coté réalise trois films sur la coopération internationale coproduits par l’ONF, le Programme alimentaire mondial des Nations unies et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture. Les films abordent le problème de la survivance infantile dans les pays du tiers-monde. Le premier film, Dominga (1979), tourné dans un village d’Indiens Aymaras en Bolivie est axé sur la nutrition, le deuxième, Azzel (1979), sur l’éducation des enfants touareg au Niger, une peuplade nomade que les nécessités du progrès ont forcé à la sédentarisation, le dernier, Marastoon – la maison d’accueil (1980), sur l’apprentissage de métiers dans un institut pour orphelins et handicapés de Kaboul en Afghanistan.

Les trois opus de la série sur la coopération internationale constituent les derniers films de Guy L. Coté. Dans les années 1980, il revient à la production avec la série Les arts sacrés du Québec, une vingtaine de films sur l’architecture et l’art religieux réalisés par François Brault.

Guy L. Coté quitte l’ONF en 1987 et laisse derrière lui une œuvre imposante. En 35 ans de carrière, il aura produit plus d’une quarantaine de films, assuré la réalisation et le montage d’une vingtaine de documentaires et remporté 19 prix internationaux.

sur janvier 9 | par