Guy Coté, passeur…
Le 50e anniversaire de la Cinémathèque québécoise que nous célébrons cette année ramène à la mémoire la génération des fondateurs de notre cinématographie nationale moderne. Arthur Lamothe, Michel Brault, Jean Dansereau, décédés récemment étaient de ceux là, de même que Guy L. Coté, cinéaste, producteur et cinéphile, décédé il y a près de 20 ans, que l’on reconnaît comme le fondateur et le principal architecte de notre précieuse institution.
J’ai l’impression d’avoir toujours connu Guy L. Coté. Il a toujours été présent et très actif partout où j’ai travaillé dans le milieu du cinéma depuis les années 1960. Et pourtant je n’ai jamais eu l’occasion de travailler directement avec lui.
Festival International du Film de Montréal
D’abord au Festival International du Film de Montréal (FIFM), créé en 1960, où à l’été 1965 et dans les années 1966 et 1967 alors que j’avais rejoint l’équipe de Rock Demers et Robert Daudelin. Guy Coté, cinéphile averti depuis ses années d’études en Angleterre et actif à la Fédération canadienne des ciné-clubs, réalisateur à l’ONF, était avec les Juneau, Lalonde, Cadieux un des fondateurs de ce festival qui ouvrit le Québec au cinéma international et qui fut si important pour la communauté des cinéastes québécois et canadiens. Guy Coté, qui avait aussi participé à la création de l’Association professionnelle des cinéastes (APC) et qui était à l’origine de la Cinémathèque, était très actif dans les différents comités du Festival pendant ces années où notre cinématographie se donnait ses premières grandes assises.
La Cinémathèque
À ma sortie de l’université en 1970, je vins travailler à la Cinémathèque. La Cinémathèque, c’était lui. Il l’avait fondée. Jusque-là, il l’avait tenue à bout de bras, avec quelques passionnés comme lui, depuis le sous-sol de sa maison jusqu’aux nouveaux locaux de la rue Jeanne-Mance et ensuite de la rue St-Denis. J’ai travaillé pendant 5 ans à la Cinémathèque. Françoise Jaubert était alors la directrice générale, la première, depuis un an ou deux. Robert Daudelin allait lui succéder en 1972. Guy L., réalisateur à l’ONF, n’en était pas moins présent. J’ai vu arriver, grâce à lui, des films, des appareils de cinéma et des artefacts, qui allaient constituer au fil des ans la riche collection de la Cinémathèque, des caisses de photos de films et de tournages qu’il s’était procurées dans une vente aux enchères à New York et qui sont à l’origine de l’immense photothèque actuelle de la Cinémathèque. J’ai vu passer, de chez-lui à la Cinémathèque, la bibliothèque qu’il avait patiemment montée au fil des années et qui est devenue aujourd’hui la Médiathèque qui porte son nom, un des meilleurs centres de documentation sur le cinéma en Amérique.
L’ONF
Lorsqu’en 1984, je vins à l’ONF présider le Comité du programme du Programme français – poste que j’occupai jusqu’à l’aube des années 2000 –, c’est à Guy L. qui occupait l’intérim de ce poste que je succédai.
Guy L. était entré à l’ONF en 1952. Il connaissait l’ONF par cœur, comme on dit. Il avait réalisé une vingtaine de films dont certains, comme Roughnecks (Les Maîtres-sondeurs) en 1960 et Cattle Ranch (Têtes Blanches), en 1961, avaient déjà attiré l’attention sur lui. Il en avait produit autant en s’associant aux Gilles Groulx, Pierre Perrault, Jacques Leduc, Anne- Claire Poirier pour ne nommer que ceux-là. Il avait aussi été monteur. Il s’impliquait beaucoup dans les activités internes de l’ONF, dans l’Assemblée des cinéastes, au Syndicat (SGCT). Le Guy L. que je côtoyais, avec toute la renommée qu’il avait, tant à l’intérieur de l’ONF qu’à l’extérieur, était en quelque sorte une institution dans l’institution. Sous des dehors qu’on pourrait penser plutôt flegmatique, Guy L. était un passionné dont la détermination n’était pas à questionner quand il s’impliquait dans des projets auxquels il croyait.
Bref, pendant toutes ces années, je m’étais retrouvé dans des espaces de travail où Guy L. (« Guy L point », comme on disait familièrement) était éminemment présent et où j’avais appris à le connaître. Et pourtant, hormis quelques réunions à l’ONF, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler directement avec lui, ni de tenir avec lui de longues conversations ou discussions. Et pourtant j’avais l’impression de le connaître, de l’avoir toujours connu.
La rencontre
De fait, ma première rencontre avec Guy Coté avait eu lieu bien avant ces années de travail.
C’était en 1961, au mois d’août. J’étais alors étudiant à Sherbrooke et je participais à un premier stage de cinéma pour les directeurs de ciné-clubs des collèges organisé par le Centre diocésain du cinéma de Montréal, au Camp Ville-Marie du Lac Provost. Projections de films, conférences, discussions… du cinéma du matin au soir, pendant une semaine! Pour l’étudiant que j’étais et qui ne voyait en mode ciné-clubs qu’à peine une dizaine de films par année, c’était le paradis!!!
Cette année-là – j’ai encore le dossier –, le stage se déroulait sous le thème Cinéma et société. Quelques films du programme : entre autres, Patrouille de choc (Bernard-Aubert), Le Canaval des dieux – Something of Value (Richard Brooks), Le septième sceau (Bergman), Come Back Africa (Rogosin), Paisa (Rossellini), La Pointe courte (Varda)… Et des courts métrages dont Charlotte et son Jules (Godard), Paul Tomkowicz (Kroitor), Nuits et Brouillard (Resnais), Days of Wisky Gap (Colin Low), Ô Saisons, Ô châteaux (Varda), Deux hommes et une armoire (Polanski),Têtes blanches (Guy L. Coté), La Lutte (ONF)…
S’ajoutaient quatre conférences : Cinéma reflet de la société (Réal Michaud), L’action du cinéma sur la société (Guy Messier), La réaction de la société devant le cinéma (Jacques Cousineau) et Cinéma, art et industrie par Guy L. Coté, conférence qui porta (rappellent les notes du stage) sur l’évolution parallèle du cinéma et ses techniques; développement des industries nationales en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie; le long métrage au Canada; la production, le financement, le cinéma à petit budget, les perspectives d’avenir du cinéma d’ici.
Sa conférence, outre ce qu’elle nous apprenait de l’histoire du cinéma et des enjeux du cinéma de l’époque, suscita un intérêt particulier chez les jeunes cinéphiles que nous étions du fait qu’elle était la seule de ces quatre conférences donnée par un cinéaste. Guy Coté nous fit part de son cheminement depuis ses premières expériences de ciné-club en Angleterre jusqu’à l’ONF, alors le lieu de production cinématographique par excellence au Canada et au Québec.
Le cinéaste
Il fut certainement question aussi de son film Têtes blanches (Cattle Ranch) tourné sur la vie d’un cowboy dans un ranch de la Colombie-Britannique – film qu’il venait de terminer et qui était au programme du stage. Je me souviens surtout que notre échange porta beaucoup sur des questions de formation et d’apprentissage des métiers du cinéma. Comment devient-on cinéaste? Où étudier? Les écoles? Le cinéma amateur?….
Guy Coté démystifia en quelque sorte la perception que plusieurs d’entre nous avaient probablement de la route qui menait à cette profession : les cinéastes venaient de tous les milieux. L’apprentissage des métiers pouvait se faire dans des écoles spécialisées, mais aussi dans des endroits comme l’ONF; même dans la pratique, en amateur, en expérimentant. La formation pouvait aussi bien commencer dans les milieux des ciné-clubs comme les nôtres : « Avec des gens comme vous » avait-il dit. « Il y a probablement de futurs cinéastes parmi vous » avait-il ajouté.
Il n’en fallait probablement pas plus pour convaincre ceux qui y rêvaient déjà parmi les 55 stagiaires que nous étions en ce mois d’août 1961et dont le cinéma fut plus tard au cœur de la vie ou du travail : Raymond Cloutier (aujourd’hui comédien), Jacques Leduc (cinéaste), Jean-Claude Lord (cinéaste) – alors étudiant au Collège André-Grasset et qui nous avait d’ailleurs présenté un court métrage de fiction qu’il avait réalisé en 16mm – Pierre Maheu (écrivain, éditeur, réalisateur, producteur), Richard Guay (critique), Christian Rasselet (fit l’IDHEC, collabora à la revue Objectif et enseigna le cinéma), Claude Imbeault (ONF), Robert Meunier (SOGIC et Distribution).
Jean-Pierre Lefebvre faisait partie de l’équipe de direction du stage : il n’avait pas encore réalisé de film, mais il collaborait à la revue Séquences; de même que Claude Nadon (plus tard critique au journal Le Devoir ) ainsi que Gilles Blain, animateur de ciné-club, enseignant et collaborateur à la revue Séquences.).
J‘ai l’impression d’avoir toujours connu Guy L. Coté. Et pourtant… Avec le temps, dans ce milieu du cinéma qu’il a contribué à bâtir, j’ai certainement connu et compris ce qui l’animait.
Carol Faucher
Octobre 2013
Photo : Martin Leclerc