Il fut mon mentor.
Guy L. Coté est probablement la personne qui a le plus marqué mon parcours professionnel. La meilleure façon de connaître l’homme c’est de commencer par le commencement et donc, de partir de notre rencontre où se sont alors mis en place les jalons qui m’ont amené à travailler à la Cinémathèque entre février 1966 et décembre 1970. Ces quatre années fondatrices furent déterminantes pour l’institution où j’ai, pour ma part, beaucoup appris du travail de programmation cinématographique qui m’aura entraîné depuis dans plusieurs coins du globe.
André Pâquet (à gauche) et Carol Faucher dans les bureaux de la Cinémathèque québécoise, rue St-Denis, 1970
Entre 1962 et 1966, je vivais encore dans ma ville natale, Québec. Je rédigeais alors une chronique hebdomadaire de cinéma dans le quotidien L’ACTION. Cette chronique me donnait donc l’occasion de fréquenter chaque année le Festival International du Film de Montréal, tout comme lors des premières manifestations de Connaissance du Cinéma que je couvrais également pour mon journal. Au cours de la même période, je fus le directeur artistique du Studio 9, un petit cinéma d’art et d’essai logé à l’Estoc, un théâtre de poche (85 places) presque littéralement « lové » à l’ombre du Château Frontenac. Notre programmation alternait alors avec les périodes de relâche du théâtre.
À cette même période, j’avais également fondé quelques ciné-clubs. Plusieurs films de la collection de cinéma expérimental que détenait Guy L. Coté firent l’objet de quelques-unes de ces séances. On y trouvait des oeuvres de Shirley Clarke, de Francis Thompson, Hilary Harris, et autres. Puis, un jour, j’ai programmé son film « Les Maîtres-sondeurs » (Roughnecks). Mes premiers contacts avec lui s’effectuèrent lors de ces différentes activités.
Tout au long de ces rencontres, rien ne me laissait présager que quelques années plus tard, soit en novembre 1965, il me proposerait de venir travailler à la Cinémathèque canadienne. C’était lors des premiers 7 Jours du Cinéma de Québec, un événement organisé conjointement par un regroupement de cinéphiles de la ville de Québec et le F.I.F.M. alors dirigé par Rock Demers. En raison de ma présence et de mon rôle dans le domaine de la diffusion du cinéma à Québec, la direction du F.I.F.M. m’avait alors confié le mandat de coordonnateur principal pour l’occasion. L’évènement fut un succès.
Je crois me souvenir que la proposition de Guy m’avait été formulée dans l’une de ces conversations anodines qui sont monnaie courante dans ce genre d’événements. J’étais à la fois surpris et fort impressionné par la proposition. Je savais également que la F.I.A.F. venait de reconnaître le statut d’Archives de la Cinémathèque, qui avait pris le relais de Connaissance du Cinéma. Bien évidemment, je garde de ce moment qui aura changé ma vie, le souvenir d’un homme d’une grande simplicité, affable, à telle enseigne que j’ai eu peine à le prendre au sérieux !
La période rue Vanier à St-Laurent
Aujourd’hui, je dois dire que j’aurai beaucoup appris de lui en acceptant de me joindre à l’expérience de ces premières années de la Cinémathèque. Je retiens de mon contact avec lui et de l’invitation que j’acceptai par la suite, ces premiers mois de mon embauche passés dans la cave de la maison de la Rue Vanier à St-Laurent où je me familiarisais (dans tous les sens du terme) avec les collections de livres, de films et autres artefacts, qui meublaient la cave familiale. Je dis « familiariser », car il y avait là une atmosphère (… atmosphère, atmosphère… etc., disait l’autre ! ) familiale que je partageais avec Nancy son épouse et parfois même avec les enfants quand ils étaient à la maison. Je crois même me souvenir d’avoir joué à la « gardienne » pour Natalie la plus jeune ! Avec ce sourire moqueur de Guy L. et l’humour très « british » de Nancy, j’ai fait alors mes premiers pas dans le travail de programmation d’une Cinémathèque et surtout celui qui consiste à rendre vivant un tel organisme. Aux côtés de Nancy, je collaborais à la rédaction des notes de programmes pour les projections de la rue Mc Gill, premier lieu public de la Cinémathèque.
Rue Vanier, j’ai par la suite découvert les films expérimentaux de Maya Deren, Bruce Conner, Stan Brakhage, Kenneth Anger, Robert Breer, Stan Vanderbeek, ou Shirley Clarke, etc., dont certains que j’avais loués dans le cadre des programmes de Ciné-clubs que j’avais animés à Québec. Au cours de ces années, lors de mes voyages subséquents à New York, et grâce aux liens que Guy L. avait tissés avec les Independent Filmmakers de New York, les frères Mekas, Morris Engel, Cassavetes, ou Lionel Rogosin. J’ai pu prendre contact avec tout un pan du jeune américain de l’époque, tout comme avec les oeuvres du nouveau cinéma européen. C’est aussi grâce aux contacts de Guy L. Coté avec des gens comme Dan Talbot du Cinéma New-Yorker, des amis Rudi Franchi et Marshall Lewis du Bleecker Street Cinema que tous ces moments furent pour moi une école extraordinaire. Une expérience qui a alors bouleversé ma vie et toute mon orientation professionnelle.
Mais par-dessus tout, je crois que je lui suis particulièrement redevable de la très grande confiance qu’il m’accorda par la suite dans la période de mise sur pied du premier bureau de la Cinémathèque et dont j’avais « déniché » le local par hasard. J’habitais alors sur la rue Durocher entre Milton et Prince-Arthur. Guy et Nancy m’avaient demandé de garder l’oeil ouvert afin de trouver un espace au centre-ville. Un matin, j’aperçus l’affiche toute récente pour un appartement à louer au 3685, rue Jeanne Mance. Ce fut la première adresse de la Cinémathèque. Plus tard, avec l’arrivée de Françoise Jaubert, qui fut embauchée à la direction de l’organisation de la première grande rétrospective du cinéma d’animation dans le cadre d’Expo’67 et avec l’arrivée d’autres personnes, l’organisme grandissait à vive allure. Ce fut alors l’installation au 3834, rue St-Denis.
Fouiller l’histoire du cinéma d’ici
La confiance totale qu’affichait Guy L. Coté, son sens de l’exploration et du risque culturel, sa détermination également, m’ont donc marqué dès les premiers moments rue Vanier. Puis, quelques mois après mon arrivée, on me confiait le mandat de l’organisation de la première Rétrospective du Cinéma canadien. Le projet s’inscrivait dans le cadre du Centenaire de la Confédération, et devait prendre le relais des différentes manifestations cinématographiques qui se déroulèrent dans le cadre de l’Expo.
Partant de ses propres notes, et d’une recherche qu’il avait faite au cours des ans en parallèle avec sa tâche de réalisateur-producteur à l’ONF, ce projet venait confirmer son implication et son engagement à promouvoir le cinéma en général et le cinéma d’ici naissant, et ce, sous toutes ses formes. Ce faisant, il avait su bâtir un réseau pancanadien de contacts et de pôles de productions qui sont à l’origine des balbutiements du cinéma chez nous. Ma tâche consistait alors à chercher les copies de films, et tous les éléments qui pouvaient documenter et illustrer cette première tentative de créer une histoire vivante du cinéma au Canada. Avec l’appui d’un comité de consultation et d’orientation, qui était composé de Robert Daudelin, Michel Patenaude, Jacques Leduc, Jean-Pierre Lefebvre, Claude Nadon et de Guy L., j’ai donc repris son « bâton de pèlerin » et le parcours qu’il avait esquissé au cours de ces années. Ma tâche était de mettre en forme le programme des films répertoriés d’un bout à l’autre du pays, trouver les liens, les contacts et les productions manquantes. On ne pouvait pas encore parler véritablement de cinéma canadien, mais d’expériences éparses menées d’un bout à l’autre du pays et qui témoignaient des tentatives de créer une activité cinématographique au Canada. Sans prétention, j’étais un peu devenu son alter ego puisque je pris alors le chemin du territoire canadien, voyageant de Montréal à Vancouver afin de relier entre eux les points et les moments repères qui ont forgé ce que l’on pourrait nommer la préhistoire du cinéma d’ici. J’ai pu alors constater tout le travail préparatoire qu’il avait ainsi amorcé, « tranquillement pas vite », au cours des ans.
Un certain goût du risque
En travaillant « côte à côte ! » avec lui au sein de la Cinémathèque naissante, j’ai pu voir que toutes ses énergies étaient mobilisées dans le but de faire avancer son projet. Il avait cette détermination, où chaque geste posé marquait une étape dans l’avancement de son idée. Ce fut donc relativement aisé pour moi d’entreprendre l’organisation de cette première rétrospective du cinéma canadien. Car il faut bien le dire, il fallait être culotté pour prétendre mettre sur pied un tel projet alors que le cinéma au Canada n’en était qu’à des balbutiements. Surtout que tous ces « pionniers » des premiers temps avaient oeuvré sans aucune aide financière et donc souvent sans laisser de traces tangibles: copies des films faits et/ou produits, documents d’appoint et historiques, le tout était dans un piètre état. Mais Guy L. Coté avait su en retracer les premiers jalons. Je n’avais plus alors qu’à relier les pointillés !
C’est dans ce climat à la fois défricheur et frondeur que très vite j’ai pu constater et découvrir l’étendue de ses contacts, non seulement chez nous, mais aussi à l’étranger. Au-delà de sa relation avec Henri Langlois, avec différentes cinématographies et d’autres cinémathèques, ses liens avec tout ce qui bougeait dans le cinéma de ces années étaient impressionnants. J’en pris donc acte.
Il possédait également cette clairvoyance qui lui a fait « donner sa chance » à un certain cinéma québécois naissant alors qu’il a produit les premiers films de Perrault, de Leduc, de Groulx ou de Poirier, dont les oeuvres ultérieures vont marquer le Cinéma canadien de l’époque et québécois d’aujourd’hui. Passionné, il l’était donc, et c’est probablement là la plus grande influence qu’il a eue sur moi.
Par ce biais, j’ai aussi appris de lui une certaine rigueur, qui laisse place à la poésie, au lyrisme et à une certaine joie dans la création. Il fallait côtoyer de près ce touche-à-tout, ce « calculateur intelligent », ce stratège fin-filou, pour découvrir l’homme qui souvent se cachait derrière. C’est un peu ce qui se cache aussi derrière la série de ses films sur les métiers (Roughnekcs, Railroaders, Fishermen ou encore Cattle Ranch). Humaniste formé au monde scientifique, il a su combiner sa vie, ses actions en un parcours à la fois simultané et complémentaire. Son combat pour la préservation du Mont Pinacle en témoigne de façon éloquente. Cela je l’aurai appris de lui et lui en serai toujours reconnaissant.
N’en déplaise à certains esprits chagrins qui osent prétendre le contraire, si la Cinémathèque québécoise d’aujourd’hui est ce qu’elle est, avec ses hauts et ses bas, mais avec une réputation internationale qui s’est affirmée dès sa naissance, c’est à Guy L. Coté que revient le mérite d’en avoir jeté les fondations.
André Pâquet
18 octobre 2013