Guy L. Coté, cinéaste expérimental
Au début des années 60, pour les cinéphiles de ma génération, Guy L. Coté nous était principalement connu par deux courts métrages qu’il avait réalisés à l’ONF : Railroaders (1958) et Roughnecks (1960). Ces documentaires de facture classique, de construction solide et en tous points fidèles au modèle griersonien encore dominant chez les cinéastes de l’équipe anglaise à laquelle appartenait Guy, avaient même fait oublier que les premières armes du cinéaste étaient d’une tout autre nature…
Guy Coté avait découvert le cinéma alors qu’il étudiait la chimie à l’université d’Oxford. L’Angleterre était alors un lieu où la culture cinématographique vivait une sorte d’âge d’or : le British Film Institute, sous la gouverne éclairée d’Ernest Lindgren, faisait figure de modèle dans le monde naissant des archives du film; le National Film Theatre, son pendant projections publiques, proposait des programmes fabuleux; la revue Sight and Sound, autre émergence du BFI, était universellement respectée; enfin une génération de cinéphiles aguerris, avec à sa tête le bouillonnant Lindsay Anderson, était à la veille de secouer le cinéma britannique avec une série de petits films – le bien nommé Free Cinema – aussi frais que novateurs. Guy n’avait qu’à se laisser porter par la vague!
C’est fort de cette découverte du cinéma que Guy Coté rentre au Canada en 1952 et décide d’abandonner son projet de doctorat en chimie pour solliciter un emploi à l’ONF, sise alors à Ottawa, sa ville d’origine. Et c’est là, dans ce National Film Board très griersonien que commence la carrière officielle de Guy, carrière qui immédiatement produit des films très estimables, notamment les deux titres déjà cités et qu’on revoit toujours avec plaisir.
Mais, comme déjà évoqué, cette carrière officielle du cinéaste avait été précédée par deux essais : un film de ski dont il ne fut pas vraiment le réalisateur, mais surtout un film de ballet, tout à fait dans l’esprit du cinéma expérimental de l’époque : Between Two Worlds, que Coté réalise en Angleterre au début des années 50, illustre bien l’intérêt du cinéaste pour un type de cinéma dont son œuvre ultérieure de documentariste ne se réclamera plus. Et pourtant… le penchant de Guy pour le cinéma expérimental, son attachement très réel pour les bricoleurs, les cinéastes fauchés et les créateurs irrespectueux ne s’est jamais démenti; il s’est manifesté sur d’autres terrains.
Ayant suivi l’ONF à Montréal et ayant installé sa famille dans le quartier immédiatement voisin des studios de Côte-de-Liesse, Guy très rapidement transforme le sous-sol de la maison familiale en centre de documentation sur le cinéma. Parmi les rayons où s’entassent livres et revues, on trouve une armoire métallique dans laquelle sont très méticuleusement rangés des films expérimentaux de Robert Breer, Kenneth Anger, Brune Conner et plusieurs autres : c’est la collection personnelle du cinéaste, personnelle, mais non privée, puisqu’il l’a consignée dans un petit catalogue avec notes descriptives de sa propre main et que ces films qu’il révère, on peut les lui louer. Au printemps 1965, dans le numéro 32 de la revue Objectif, le cinéaste Pierre Hébert publiait un « Procès d’une collection », la collection en question étant justement la petite collection de films expérimentaux rassemblés par Guy et que, avec sa complicité, nous étions 5 ou 6 à avoir visionné intégralement sur le projecteur 16mm du graveur Richard Lacroix.
Un autre souvenir me revient en tête… Quelques années auparavant – juin 1960, vraisemblablement –, Guy m’avait invité à déjeuner chez lui un dimanche pour travailler à la préparation de communiqués de presse pour le premier Festival International du Film de Montréal dont il était l’un des animateurs. Il rentrait d’un voyage à New York, encore surexcité de la soirée qu’il avait passée au Five Spot où se produisait le quatuor d’Ornette Coleman; cette musique l’avait enthousiasmé et il en parlait avec la même fougue qu’il avait mise quelques mois plus tôt à analyser certains films de Norman McLaren pour un groupe de rédacteurs d’Objectif par lui réunis dans une classe de l’université McGill. Cinéma expérimental, jazz d’avant-garde, l’idée de recherche, de provocation qu’on retrouve dans l’un et l’autre lui était très chère. Aussi est-ce bien logique qu’il ait proposé d’inviter Herman Weinberg, le truculent « columnist » de la revue de Jonas Mekas Film Culture, à monter une exposition Von Stroheim pour l’édition 1964 du FIFM; et c’est ainsi que le scandaleux Von Stroheim eut droit au foyer de la Place des Arts.
Très actif donc au Festival International du Film de Montréal, il était dans cette équipe le plus curieux des expériences nouvelles, toujours prêt à être étonné, débordé même. Et pendant ce temps, à partir du sous-sol de la maison familiale de la rue Vannier à Ville St-Laurent, il rêvait de doter Montréal d’une cinémathèque où une nouvelle génération de cinéphiles, qui lisaient sans doute les Cahiers du cinéma, plutôt que Sight and Sound, mais avec la même ardeur que celle d’un étudiant canadien à Oxford à la fin des années 40, découvrirait le cinéma de toutes les époques, dans sa diversité et sa richesse magnifiques. Et celle folle aventure, qui vient de fêter ses 50 ans, allait commencer sous le parrainage de Jean Renoir, au cinéma Élysée, à l’automne 1963. Mais ça, comme on dit familièrement, c’est une autre histoire!
Robert Daudelin
Octobre 2013
Pour en savoir davantage sur Robert Daudelin, écoutez les entretiens de Globe Sonore.