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J’ai côtoyé Guy L. Coté pendant une trentaine d’années. Il était un cinéaste étonnant par son éthique de travail et son esprit de sérieux. En réalité qu’il soit passé à l’âge adulte du monde des sciences à celui du cinéma n’avait pas modifié profondément son comportement. Quand Guy abordait un sujet, il était plus préoccupé de la justesse des informations et du respect du travail humain, que de la dimension esthétique à proprement parler. Il a toujours été plus artisan qu’artiste.
Guy était un excellent camarade de travail, j’ai eu le plaisir de rédiger des commentaires pour ses documentaires à mes tout débuts à l’ONF. Par la suite, quand j’ai été nommé directeur de la « Production française » j’ai pu m’assurer de sa collaboration efficace comme producteur responsable. Chaque fois que l’on créait des comités de travail pour étudier un sujet, ou proposer de nouvelles structures d’organisation, Guy L. se portait volontaire.
Toutes ces années, archiviste dans l’âme, Guy accumulait des documents et des films qui permirent éventuellement la création de la Cinémathèque québécoise. Les discussions et ententes pour le transfert de sa collection privée au domaine public furent pour lui une dure épreuve, on ne se prive pas facilement de ce que l’on collectionne avec ferveur, mais ultimement son apport a été apprécié à sa juste mesure.
À l’ONF-NFB des amitiés entre cinéastes des deux langues étaient rares, mais Guy L. Coté, se définissant d’abord comme Canadien français, a su souvent faire le pont culturel et assurer une collaboration enrichissante entre les réalisateurs des deux divisions de la Production. On a de la difficulté à imaginer l’ONF-NFB sans l’apport original de Guy L. Coté.
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Iolande Cadrin-Rossignol
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Rock Demers
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Il fut mon mentor.
Guy L. Coté est probablement la personne qui a le plus marqué mon parcours professionnel. La meilleure façon de connaître l’homme c’est de commencer par le commencement et donc, de partir de notre rencontre où se sont alors mis en place les jalons qui m’ont amené à travailler à la Cinémathèque entre février 1966 et décembre 1970. Ces quatre années fondatrices furent déterminantes pour l’institution où j’ai, pour ma part, beaucoup appris du travail de programmation cinématographique qui m’aura entraîné depuis dans plusieurs coins du globe.
André Pâquet (à gauche) et Carol Faucher dans les bureaux de la Cinémathèque québécoise, rue St-Denis, 1970
Entre 1962 et 1966, je vivais encore dans ma ville natale, Québec. Je rédigeais alors une chronique hebdomadaire de cinéma dans le quotidien L’ACTION. Cette chronique me donnait donc l’occasion de fréquenter chaque année le Festival International du Film de Montréal, tout comme lors des premières manifestations de Connaissance du Cinéma que je couvrais également pour mon journal. Au cours de la même période, je fus le directeur artistique du Studio 9, un petit cinéma d’art et d’essai logé à l’Estoc, un théâtre de poche (85 places) presque littéralement « lové » à l’ombre du Château Frontenac. Notre programmation alternait alors avec les périodes de relâche du théâtre.
À cette même période, j’avais également fondé quelques ciné-clubs. Plusieurs films de la collection de cinéma expérimental que détenait Guy L. Coté firent l’objet de quelques-unes de ces séances. On y trouvait des oeuvres de Shirley Clarke, de Francis Thompson, Hilary Harris, et autres. Puis, un jour, j’ai programmé son film « Les Maîtres-sondeurs » (Roughnecks). Mes premiers contacts avec lui s’effectuèrent lors de ces différentes activités.
Tout au long de ces rencontres, rien ne me laissait présager que quelques années plus tard, soit en novembre 1965, il me proposerait de venir travailler à la Cinémathèque canadienne. C’était lors des premiers 7 Jours du Cinéma de Québec, un événement organisé conjointement par un regroupement de cinéphiles de la ville de Québec et le F.I.F.M. alors dirigé par Rock Demers. En raison de ma présence et de mon rôle dans le domaine de la diffusion du cinéma à Québec, la direction du F.I.F.M. m’avait alors confié le mandat de coordonnateur principal pour l’occasion. L’évènement fut un succès.
Je crois me souvenir que la proposition de Guy m’avait été formulée dans l’une de ces conversations anodines qui sont monnaie courante dans ce genre d’événements. J’étais à la fois surpris et fort impressionné par la proposition. Je savais également que la F.I.A.F. venait de reconnaître le statut d’Archives de la Cinémathèque, qui avait pris le relais de Connaissance du Cinéma. Bien évidemment, je garde de ce moment qui aura changé ma vie, le souvenir d’un homme d’une grande simplicité, affable, à telle enseigne que j’ai eu peine à le prendre au sérieux !
La période rue Vanier à St-LaurentAujourd’hui, je dois dire que j’aurai beaucoup appris de lui en acceptant de me joindre à l’expérience de ces premières années de la Cinémathèque. Je retiens de mon contact avec lui et de l’invitation que j’acceptai par la suite, ces premiers mois de mon embauche passés dans la cave de la maison de la Rue Vanier à St-Laurent où je me familiarisais (dans tous les sens du terme) avec les collections de livres, de films et autres artefacts, qui meublaient la cave familiale. Je dis « familiariser », car il y avait là une atmosphère (… atmosphère, atmosphère… etc., disait l’autre ! ) familiale que je partageais avec Nancy son épouse et parfois même avec les enfants quand ils étaient à la maison. Je crois même me souvenir d’avoir joué à la « gardienne » pour Natalie la plus jeune ! Avec ce sourire moqueur de Guy L. et l’humour très « british » de Nancy, j’ai fait alors mes premiers pas dans le travail de programmation d’une Cinémathèque et surtout celui qui consiste à rendre vivant un tel organisme. Aux côtés de Nancy, je collaborais à la rédaction des notes de programmes pour les projections de la rue Mc Gill, premier lieu public de la Cinémathèque.
Rue Vanier, j’ai par la suite découvert les films expérimentaux de Maya Deren, Bruce Conner, Stan Brakhage, Kenneth Anger, Robert Breer, Stan Vanderbeek, ou Shirley Clarke, etc., dont certains que j’avais loués dans le cadre des programmes de Ciné-clubs que j’avais animés à Québec. Au cours de ces années, lors de mes voyages subséquents à New York, et grâce aux liens que Guy L. avait tissés avec les Independent Filmmakers de New York, les frères Mekas, Morris Engel, Cassavetes, ou Lionel Rogosin. J’ai pu prendre contact avec tout un pan du jeune américain de l’époque, tout comme avec les oeuvres du nouveau cinéma européen. C’est aussi grâce aux contacts de Guy L. Coté avec des gens comme Dan Talbot du Cinéma New-Yorker, des amis Rudi Franchi et Marshall Lewis du Bleecker Street Cinema que tous ces moments furent pour moi une école extraordinaire. Une expérience qui a alors bouleversé ma vie et toute mon orientation professionnelle.
Mais par-dessus tout, je crois que je lui suis particulièrement redevable de la très grande confiance qu’il m’accorda par la suite dans la période de mise sur pied du premier bureau de la Cinémathèque et dont j’avais « déniché » le local par hasard. J’habitais alors sur la rue Durocher entre Milton et Prince-Arthur. Guy et Nancy m’avaient demandé de garder l’oeil ouvert afin de trouver un espace au centre-ville. Un matin, j’aperçus l’affiche toute récente pour un appartement à louer au 3685, rue Jeanne Mance. Ce fut la première adresse de la Cinémathèque. Plus tard, avec l’arrivée de Françoise Jaubert, qui fut embauchée à la direction de l’organisation de la première grande rétrospective du cinéma d’animation dans le cadre d’Expo’67 et avec l’arrivée d’autres personnes, l’organisme grandissait à vive allure. Ce fut alors l’installation au 3834, rue St-Denis.
Fouiller l’histoire du cinéma d’iciLa confiance totale qu’affichait Guy L. Coté, son sens de l’exploration et du risque culturel, sa détermination également, m’ont donc marqué dès les premiers moments rue Vanier. Puis, quelques mois après mon arrivée, on me confiait le mandat de l’organisation de la première Rétrospective du Cinéma canadien. Le projet s’inscrivait dans le cadre du Centenaire de la Confédération, et devait prendre le relais des différentes manifestations cinématographiques qui se déroulèrent dans le cadre de l’Expo.
Partant de ses propres notes, et d’une recherche qu’il avait faite au cours des ans en parallèle avec sa tâche de réalisateur-producteur à l’ONF, ce projet venait confirmer son implication et son engagement à promouvoir le cinéma en général et le cinéma d’ici naissant, et ce, sous toutes ses formes. Ce faisant, il avait su bâtir un réseau pancanadien de contacts et de pôles de productions qui sont à l’origine des balbutiements du cinéma chez nous. Ma tâche consistait alors à chercher les copies de films, et tous les éléments qui pouvaient documenter et illustrer cette première tentative de créer une histoire vivante du cinéma au Canada. Avec l’appui d’un comité de consultation et d’orientation, qui était composé de Robert Daudelin, Michel Patenaude, Jacques Leduc, Jean-Pierre Lefebvre, Claude Nadon et de Guy L., j’ai donc repris son « bâton de pèlerin » et le parcours qu’il avait esquissé au cours de ces années. Ma tâche était de mettre en forme le programme des films répertoriés d’un bout à l’autre du pays, trouver les liens, les contacts et les productions manquantes. On ne pouvait pas encore parler véritablement de cinéma canadien, mais d’expériences éparses menées d’un bout à l’autre du pays et qui témoignaient des tentatives de créer une activité cinématographique au Canada. Sans prétention, j’étais un peu devenu son alter ego puisque je pris alors le chemin du territoire canadien, voyageant de Montréal à Vancouver afin de relier entre eux les points et les moments repères qui ont forgé ce que l’on pourrait nommer la préhistoire du cinéma d’ici. J’ai pu alors constater tout le travail préparatoire qu’il avait ainsi amorcé, « tranquillement pas vite », au cours des ans.
Un certain goût du risqueEn travaillant « côte à côte ! » avec lui au sein de la Cinémathèque naissante, j’ai pu voir que toutes ses énergies étaient mobilisées dans le but de faire avancer son projet. Il avait cette détermination, où chaque geste posé marquait une étape dans l’avancement de son idée. Ce fut donc relativement aisé pour moi d’entreprendre l’organisation de cette première rétrospective du cinéma canadien. Car il faut bien le dire, il fallait être culotté pour prétendre mettre sur pied un tel projet alors que le cinéma au Canada n’en était qu’à des balbutiements. Surtout que tous ces « pionniers » des premiers temps avaient oeuvré sans aucune aide financière et donc souvent sans laisser de traces tangibles: copies des films faits et/ou produits, documents d’appoint et historiques, le tout était dans un piètre état. Mais Guy L. Coté avait su en retracer les premiers jalons. Je n’avais plus alors qu’à relier les pointillés !
C’est dans ce climat à la fois défricheur et frondeur que très vite j’ai pu constater et découvrir l’étendue de ses contacts, non seulement chez nous, mais aussi à l’étranger. Au-delà de sa relation avec Henri Langlois, avec différentes cinématographies et d’autres cinémathèques, ses liens avec tout ce qui bougeait dans le cinéma de ces années étaient impressionnants. J’en pris donc acte.
Il possédait également cette clairvoyance qui lui a fait « donner sa chance » à un certain cinéma québécois naissant alors qu’il a produit les premiers films de Perrault, de Leduc, de Groulx ou de Poirier, dont les oeuvres ultérieures vont marquer le Cinéma canadien de l’époque et québécois d’aujourd’hui. Passionné, il l’était donc, et c’est probablement là la plus grande influence qu’il a eue sur moi.
Par ce biais, j’ai aussi appris de lui une certaine rigueur, qui laisse place à la poésie, au lyrisme et à une certaine joie dans la création. Il fallait côtoyer de près ce touche-à-tout, ce « calculateur intelligent », ce stratège fin-filou, pour découvrir l’homme qui souvent se cachait derrière. C’est un peu ce qui se cache aussi derrière la série de ses films sur les métiers (Roughnekcs, Railroaders, Fishermen ou encore Cattle Ranch). Humaniste formé au monde scientifique, il a su combiner sa vie, ses actions en un parcours à la fois simultané et complémentaire. Son combat pour la préservation du Mont Pinacle en témoigne de façon éloquente. Cela je l’aurai appris de lui et lui en serai toujours reconnaissant.
N’en déplaise à certains esprits chagrins qui osent prétendre le contraire, si la Cinémathèque québécoise d’aujourd’hui est ce qu’elle est, avec ses hauts et ses bas, mais avec une réputation internationale qui s’est affirmée dès sa naissance, c’est à Guy L. Coté que revient le mérite d’en avoir jeté les fondations.
André Pâquet
18 octobre 2013
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Guy L. Coté, cinéaste expérimental
Au début des années 60, pour les cinéphiles de ma génération, Guy L. Coté nous était principalement connu par deux courts métrages qu’il avait réalisés à l’ONF : Railroaders (1958) et Roughnecks (1960). Ces documentaires de facture classique, de construction solide et en tous points fidèles au modèle griersonien encore dominant chez les cinéastes de l’équipe anglaise à laquelle appartenait Guy, avaient même fait oublier que les premières armes du cinéaste étaient d’une tout autre nature…
Guy Coté avait découvert le cinéma alors qu’il étudiait la chimie à l’université d’Oxford. L’Angleterre était alors un lieu où la culture cinématographique vivait une sorte d’âge d’or : le British Film Institute, sous la gouverne éclairée d’Ernest Lindgren, faisait figure de modèle dans le monde naissant des archives du film; le National Film Theatre, son pendant projections publiques, proposait des programmes fabuleux; la revue Sight and Sound, autre émergence du BFI, était universellement respectée; enfin une génération de cinéphiles aguerris, avec à sa tête le bouillonnant Lindsay Anderson, était à la veille de secouer le cinéma britannique avec une série de petits films – le bien nommé Free Cinema – aussi frais que novateurs. Guy n’avait qu’à se laisser porter par la vague!
C’est fort de cette découverte du cinéma que Guy Coté rentre au Canada en 1952 et décide d’abandonner son projet de doctorat en chimie pour solliciter un emploi à l’ONF, sise alors à Ottawa, sa ville d’origine. Et c’est là, dans ce National Film Board très griersonien que commence la carrière officielle de Guy, carrière qui immédiatement produit des films très estimables, notamment les deux titres déjà cités et qu’on revoit toujours avec plaisir.
Mais, comme déjà évoqué, cette carrière officielle du cinéaste avait été précédée par deux essais : un film de ski dont il ne fut pas vraiment le réalisateur, mais surtout un film de ballet, tout à fait dans l’esprit du cinéma expérimental de l’époque : Between Two Worlds, que Coté réalise en Angleterre au début des années 50, illustre bien l’intérêt du cinéaste pour un type de cinéma dont son œuvre ultérieure de documentariste ne se réclamera plus. Et pourtant… le penchant de Guy pour le cinéma expérimental, son attachement très réel pour les bricoleurs, les cinéastes fauchés et les créateurs irrespectueux ne s’est jamais démenti; il s’est manifesté sur d’autres terrains.
Ayant suivi l’ONF à Montréal et ayant installé sa famille dans le quartier immédiatement voisin des studios de Côte-de-Liesse, Guy très rapidement transforme le sous-sol de la maison familiale en centre de documentation sur le cinéma. Parmi les rayons où s’entassent livres et revues, on trouve une armoire métallique dans laquelle sont très méticuleusement rangés des films expérimentaux de Robert Breer, Kenneth Anger, Brune Conner et plusieurs autres : c’est la collection personnelle du cinéaste, personnelle, mais non privée, puisqu’il l’a consignée dans un petit catalogue avec notes descriptives de sa propre main et que ces films qu’il révère, on peut les lui louer. Au printemps 1965, dans le numéro 32 de la revue Objectif, le cinéaste Pierre Hébert publiait un « Procès d’une collection », la collection en question étant justement la petite collection de films expérimentaux rassemblés par Guy et que, avec sa complicité, nous étions 5 ou 6 à avoir visionné intégralement sur le projecteur 16mm du graveur Richard Lacroix.
Un autre souvenir me revient en tête… Quelques années auparavant – juin 1960, vraisemblablement –, Guy m’avait invité à déjeuner chez lui un dimanche pour travailler à la préparation de communiqués de presse pour le premier Festival International du Film de Montréal dont il était l’un des animateurs. Il rentrait d’un voyage à New York, encore surexcité de la soirée qu’il avait passée au Five Spot où se produisait le quatuor d’Ornette Coleman; cette musique l’avait enthousiasmé et il en parlait avec la même fougue qu’il avait mise quelques mois plus tôt à analyser certains films de Norman McLaren pour un groupe de rédacteurs d’Objectif par lui réunis dans une classe de l’université McGill. Cinéma expérimental, jazz d’avant-garde, l’idée de recherche, de provocation qu’on retrouve dans l’un et l’autre lui était très chère. Aussi est-ce bien logique qu’il ait proposé d’inviter Herman Weinberg, le truculent « columnist » de la revue de Jonas Mekas Film Culture, à monter une exposition Von Stroheim pour l’édition 1964 du FIFM; et c’est ainsi que le scandaleux Von Stroheim eut droit au foyer de la Place des Arts.
Très actif donc au Festival International du Film de Montréal, il était dans cette équipe le plus curieux des expériences nouvelles, toujours prêt à être étonné, débordé même. Et pendant ce temps, à partir du sous-sol de la maison familiale de la rue Vannier à Ville St-Laurent, il rêvait de doter Montréal d’une cinémathèque où une nouvelle génération de cinéphiles, qui lisaient sans doute les Cahiers du cinéma, plutôt que Sight and Sound, mais avec la même ardeur que celle d’un étudiant canadien à Oxford à la fin des années 40, découvrirait le cinéma de toutes les époques, dans sa diversité et sa richesse magnifiques. Et celle folle aventure, qui vient de fêter ses 50 ans, allait commencer sous le parrainage de Jean Renoir, au cinéma Élysée, à l’automne 1963. Mais ça, comme on dit familièrement, c’est une autre histoire!
Robert Daudelin
Octobre 2013Pour en savoir davantage sur Robert Daudelin, écoutez les entretiens de Globe Sonore.
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Guy Coté, passeur…
Le 50e anniversaire de la Cinémathèque québécoise que nous célébrons cette année ramène à la mémoire la génération des fondateurs de notre cinématographie nationale moderne. Arthur Lamothe, Michel Brault, Jean Dansereau, décédés récemment étaient de ceux là, de même que Guy L. Coté, cinéaste, producteur et cinéphile, décédé il y a près de 20 ans, que l’on reconnaît comme le fondateur et le principal architecte de notre précieuse institution.
J’ai l’impression d’avoir toujours connu Guy L. Coté. Il a toujours été présent et très actif partout où j’ai travaillé dans le milieu du cinéma depuis les années 1960. Et pourtant je n’ai jamais eu l’occasion de travailler directement avec lui.
Festival International du Film de MontréalD’abord au Festival International du Film de Montréal (FIFM), créé en 1960, où à l’été 1965 et dans les années 1966 et 1967 alors que j’avais rejoint l’équipe de Rock Demers et Robert Daudelin. Guy Coté, cinéphile averti depuis ses années d’études en Angleterre et actif à la Fédération canadienne des ciné-clubs, réalisateur à l’ONF, était avec les Juneau, Lalonde, Cadieux un des fondateurs de ce festival qui ouvrit le Québec au cinéma international et qui fut si important pour la communauté des cinéastes québécois et canadiens. Guy Coté, qui avait aussi participé à la création de l’Association professionnelle des cinéastes (APC) et qui était à l’origine de la Cinémathèque, était très actif dans les différents comités du Festival pendant ces années où notre cinématographie se donnait ses premières grandes assises.
La CinémathèqueÀ ma sortie de l’université en 1970, je vins travailler à la Cinémathèque. La Cinémathèque, c’était lui. Il l’avait fondée. Jusque-là, il l’avait tenue à bout de bras, avec quelques passionnés comme lui, depuis le sous-sol de sa maison jusqu’aux nouveaux locaux de la rue Jeanne-Mance et ensuite de la rue St-Denis. J’ai travaillé pendant 5 ans à la Cinémathèque. Françoise Jaubert était alors la directrice générale, la première, depuis un an ou deux. Robert Daudelin allait lui succéder en 1972. Guy L., réalisateur à l’ONF, n’en était pas moins présent. J’ai vu arriver, grâce à lui, des films, des appareils de cinéma et des artefacts, qui allaient constituer au fil des ans la riche collection de la Cinémathèque, des caisses de photos de films et de tournages qu’il s’était procurées dans une vente aux enchères à New York et qui sont à l’origine de l’immense photothèque actuelle de la Cinémathèque. J’ai vu passer, de chez-lui à la Cinémathèque, la bibliothèque qu’il avait patiemment montée au fil des années et qui est devenue aujourd’hui la Médiathèque qui porte son nom, un des meilleurs centres de documentation sur le cinéma en Amérique.
L’ONFLorsqu’en 1984, je vins à l’ONF présider le Comité du programme du Programme français – poste que j’occupai jusqu’à l’aube des années 2000 –, c’est à Guy L. qui occupait l’intérim de ce poste que je succédai.
Guy L. était entré à l’ONF en 1952. Il connaissait l’ONF par cœur, comme on dit. Il avait réalisé une vingtaine de films dont certains, comme Roughnecks (Les Maîtres-sondeurs) en 1960 et Cattle Ranch (Têtes Blanches), en 1961, avaient déjà attiré l’attention sur lui. Il en avait produit autant en s’associant aux Gilles Groulx, Pierre Perrault, Jacques Leduc, Anne- Claire Poirier pour ne nommer que ceux-là. Il avait aussi été monteur. Il s’impliquait beaucoup dans les activités internes de l’ONF, dans l’Assemblée des cinéastes, au Syndicat (SGCT). Le Guy L. que je côtoyais, avec toute la renommée qu’il avait, tant à l’intérieur de l’ONF qu’à l’extérieur, était en quelque sorte une institution dans l’institution. Sous des dehors qu’on pourrait penser plutôt flegmatique, Guy L. était un passionné dont la détermination n’était pas à questionner quand il s’impliquait dans des projets auxquels il croyait.
Bref, pendant toutes ces années, je m’étais retrouvé dans des espaces de travail où Guy L. (« Guy L point », comme on disait familièrement) était éminemment présent et où j’avais appris à le connaître. Et pourtant, hormis quelques réunions à l’ONF, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler directement avec lui, ni de tenir avec lui de longues conversations ou discussions. Et pourtant j’avais l’impression de le connaître, de l’avoir toujours connu.
La rencontreDe fait, ma première rencontre avec Guy Coté avait eu lieu bien avant ces années de travail.
C’était en 1961, au mois d’août. J’étais alors étudiant à Sherbrooke et je participais à un premier stage de cinéma pour les directeurs de ciné-clubs des collèges organisé par le Centre diocésain du cinéma de Montréal, au Camp Ville-Marie du Lac Provost. Projections de films, conférences, discussions… du cinéma du matin au soir, pendant une semaine! Pour l’étudiant que j’étais et qui ne voyait en mode ciné-clubs qu’à peine une dizaine de films par année, c’était le paradis!!!
Cette année-là – j’ai encore le dossier –, le stage se déroulait sous le thème Cinéma et société. Quelques films du programme : entre autres, Patrouille de choc (Bernard-Aubert), Le Canaval des dieux – Something of Value (Richard Brooks), Le septième sceau (Bergman), Come Back Africa (Rogosin), Paisa (Rossellini), La Pointe courte (Varda)… Et des courts métrages dont Charlotte et son Jules (Godard), Paul Tomkowicz (Kroitor), Nuits et Brouillard (Resnais), Days of Wisky Gap (Colin Low), Ô Saisons, Ô châteaux (Varda), Deux hommes et une armoire (Polanski),Têtes blanches (Guy L. Coté), La Lutte (ONF)…
S’ajoutaient quatre conférences : Cinéma reflet de la société (Réal Michaud), L’action du cinéma sur la société (Guy Messier), La réaction de la société devant le cinéma (Jacques Cousineau) et Cinéma, art et industrie par Guy L. Coté, conférence qui porta (rappellent les notes du stage) sur l’évolution parallèle du cinéma et ses techniques; développement des industries nationales en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie; le long métrage au Canada; la production, le financement, le cinéma à petit budget, les perspectives d’avenir du cinéma d’ici.
Sa conférence, outre ce qu’elle nous apprenait de l’histoire du cinéma et des enjeux du cinéma de l’époque, suscita un intérêt particulier chez les jeunes cinéphiles que nous étions du fait qu’elle était la seule de ces quatre conférences donnée par un cinéaste. Guy Coté nous fit part de son cheminement depuis ses premières expériences de ciné-club en Angleterre jusqu’à l’ONF, alors le lieu de production cinématographique par excellence au Canada et au Québec.
Le cinéasteIl fut certainement question aussi de son film Têtes blanches (Cattle Ranch) tourné sur la vie d’un cowboy dans un ranch de la Colombie-Britannique – film qu’il venait de terminer et qui était au programme du stage. Je me souviens surtout que notre échange porta beaucoup sur des questions de formation et d’apprentissage des métiers du cinéma. Comment devient-on cinéaste? Où étudier? Les écoles? Le cinéma amateur?….
Guy Coté démystifia en quelque sorte la perception que plusieurs d’entre nous avaient probablement de la route qui menait à cette profession : les cinéastes venaient de tous les milieux. L’apprentissage des métiers pouvait se faire dans des écoles spécialisées, mais aussi dans des endroits comme l’ONF; même dans la pratique, en amateur, en expérimentant. La formation pouvait aussi bien commencer dans les milieux des ciné-clubs comme les nôtres : « Avec des gens comme vous » avait-il dit. « Il y a probablement de futurs cinéastes parmi vous » avait-il ajouté.
Il n’en fallait probablement pas plus pour convaincre ceux qui y rêvaient déjà parmi les 55 stagiaires que nous étions en ce mois d’août 1961et dont le cinéma fut plus tard au cœur de la vie ou du travail : Raymond Cloutier (aujourd’hui comédien), Jacques Leduc (cinéaste), Jean-Claude Lord (cinéaste) – alors étudiant au Collège André-Grasset et qui nous avait d’ailleurs présenté un court métrage de fiction qu’il avait réalisé en 16mm – Pierre Maheu (écrivain, éditeur, réalisateur, producteur), Richard Guay (critique), Christian Rasselet (fit l’IDHEC, collabora à la revue Objectif et enseigna le cinéma), Claude Imbeault (ONF), Robert Meunier (SOGIC et Distribution).
Jean-Pierre Lefebvre faisait partie de l’équipe de direction du stage : il n’avait pas encore réalisé de film, mais il collaborait à la revue Séquences; de même que Claude Nadon (plus tard critique au journal Le Devoir ) ainsi que Gilles Blain, animateur de ciné-club, enseignant et collaborateur à la revue Séquences.).
J‘ai l’impression d’avoir toujours connu Guy L. Coté. Et pourtant… Avec le temps, dans ce milieu du cinéma qu’il a contribué à bâtir, j’ai certainement connu et compris ce qui l’animait.
Carol Faucher
Octobre 2013
Photo : Martin Leclerc
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Entrevue avec Alanis Obomsawin
19 janvier 2014Guy L. Coté a été président du Syndicat de l’ONF de 1975 à 1978.
Un jour, Guy et l’avocate du syndicat me convoquent en réunion. Guy m’explique qu’il a fait une recherche sur les conditions de travail des employés de l’ONF. Il s’avère que je suis celle dont les conditions sont les pires : salaire le plus bas, aucune vacance, aucune sécurité d’emploi. J’étais contractuelle à l’ONF depuis 9 ans et selon la perception de Guy, en plus d’être autochtone, j’étais une femme, j’étais pauvre, je n’étais pas mariée et j’avais un enfant.
Guy m’explique que pour avoir une chance de changer mes conditions de travail, il me faudrait aller en cour et porter plainte contre l’Office national du film. « Si tu perds, tu perdras très certainement ton emploi. Si tu gagnes, tu vas devenir permanente. » Déjà, à cette époque, j’étais une militante active au service de mon peuple. Il n’était pas question que je m’effondre. J’allais accepter sa proposition.
Quelque temps plus tard, je me suis retrouvée à la cour du gouvernement canadien à Ottawa. Une autre employée de l’ONF, Arlette Dion, était également à la cour pour contester des conditions de travail précaires. Je me souviens très bien, j’étais assise devant quatre juges en toge et en perruques blanches siégeant sur une estrade. C’était très impressionnant. Une représentante de l’ONF dont j’oublie le nom, mais qui dirigeait le programme anglais à ce moment-là était là pour y représenter l’institution.
À tour de rôle, les juges m’ont posé des questions. « Avez-vous droit à des vacances ? Avez-vous des journées de maladie ? Qu’en est-il du temps supplémentaire ? » Chaque fois, ma réponse était négative et je voyais une drôle d’expression sur leur visage.
Je suis retournée travailler à l’ONF et les semaines ont passé. Puis un jour, Ian Mc Laren, alors producteur exécutif de la production anglaise, me convoque dans son bureau en compagnie de Dog Mc Donald. Ian m’avise qu’il va me poser trois questions et que je dois faire très attention à mes réponses parce qu’elles vont déterminer si je vais continuer à travailler à l’Office ou non. Est-ce que je ferais des films sur autre chose que sur les autochtones ? Ma réponse fut que l’Office ne faisait que commencer à faire des films sur les authochtones. Est-ce que j’irais travailler à Edmonton ? Ma réponse fut évidemment non. Est-ce que j’accepterais un autre poste moindre que celui de réalisatrice ? À cette question je répondis que je travaillais depuis l’âge de 9 ans, que je n’avais jamais cessé de travailler et gagner ma vie et que je continuerais à faire ainsi, même si je devais laver les planchers.
Quelques mois passent, puis un jour, j’ai été appelée au bureau de Ian McLaren. C’est alors qu’il m’annonce « Alanis, your on staff. » Voilà, c’était fait. Tout ça grâce à Guy qui avait constaté l’injustice et m’avait encouragée à poser le geste d’aller à la cour, pour moi et pour tous les autres qui souffraient d’une telle injustice.
J’ai toujours aimé Guy et je l’ai toujours beaucoup respecté. Grâce à lui, ma vie a changé ainsi que celle de beaucoup d’autres « false free-lancers ».
Merci à Guy !
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Le mouvement même des choses
Je venais de quitter Montréal et me dirigeais vers Ottawa. C’était le dimanche 14 mai 1950. Je me souvenais de ma première et seule visite rue John, à cette ancienne écurie de briques rouges, face à l’ambassade de France où, dès l’entrée, une forte odeur de formol et de produits pharmaceutiques vous prenait à la gorge… Un centre de recherche pharmaceutique partageait le vieil immeuble avec un autre organisme du gouvernement, l’Office national du film, fondé onze ans plus tôt par un Anglais, John Grierson. A peine la porte franchie un grand tableau présentait une série de photos montrant des moviolas [1] incendiées, pour rappeler qu’il ne fallait pas fumer dans les salles de montage car la pellicule de ce temps, à base de nitrate, était hautement inflammable…
Je ne savais pas encore que j’y passerais trois ans. C’était sûrement la meilleure école de cinéma au Canada : assistant-réalisateur, stage au montage, au montage sonore, au mixage etc. etc. Je ne savais pas non plus que j’aurais la chance de réaliser trois courts métrages, écrire un scénario sur le caricaturiste La Palme et rédiger un commentaire de film sur les Moines de St-Benoît. Dans les corridors (depuis toujours patrimoine distinctif de l’ONF) je croisais des cinéastes qui deviendraient célèbres. C’est donc dans un corridor que me fut présenté Guy L. Coté rentré de Londres où il étudiait la chimie. Tous les jours je croisais Normand McLaren qui arrivait de Chine après un séjour d’un an. Pendant une saison, je suivis des cours de calligraphie chinoise avec Normand et quelques personnes.
À l’ONF il était d’usage, une fois par mois, d’organiser des projections de films exceptionnels, suivies de discussions. Ce jour-là on présentait ‘‘Triomphe de la volonté’’ (Power of the Will) de Leni Riefenstahl, Allemagne 1935, film interdit de projection et qui constituait un butin de guerre dont l’ONF était dépositaire. Au bout d’une trentaine de minutes d’échanges, il ne restait dans la salle que Guy L. Coté et moi. C’est là que j’appris que Guy avait été un des animateurs de la « film society » de son université et qu’il y avait même réalisé un film : Sestrières. De mon coté, j’avais fondé à l’université de Montréal, avec un camarade, le premier ciné-club au Québec. Il était clair que la culture cinématographique était importante pour nous.
Je quittai l’ONF et revins à Montréal où, dans une petite maison de production de mon cru, Studio 7, j’espérais trouver une plus grande liberté. Capter le réel, saisir les gestes et les comportements de « l’homme de la rue » au naturel, avec une caméra légère. Une autre façon de faire du cinéma, d’expérimenter, qu’on appellerait plus tard « cinéma direct ». S’en suivit en 1953-1954, Petites Médisances, trente-neuf films de quinze minutes tournés dans cet esprit.
Je fis plusieurs séries de films pour la jeunesse, et du journalisme de l’image pour le service des nouvelles de Radio-Canada. Je tournai également deux films : Les bateaux de neige et Viendras le jour.
Au début des années 60, je réalisai à titre de pigiste deux films pour l’ONF. Je fis alors un retour aux studios de Côte-de-Liesse. Il faut dire (entre nous) que les corridors étaient plus nombreux, plus longs et plus larges à Montréal qu’à Ottawa. A la fin de l’été 62, c’est là que je croisai Guy L. Coté. Il voulait réunir un petit groupe de personnes intéressées par le cinéma et la culture cinématographique. Il m’invitait à faire partie de ce groupe. Nancy, la femme de Guy, doit se souvenir de l’hiver 62-63 où des réunions régulières se tenaient autour de la table familiale, rue Vanier, à St-Laurent, de même, à l’occasion, chez l’un ou l’autre des membres. Le groupe qui se nommerait bientôt Connaissance du cinéma, avait déjà soumis au Procureur général du Québec un mémoire sur la censure qui sévissait ici depuis toujours.
Un projet se faufilait, celui de projeter à Montréal les 120 meilleurs films de tous les temps. Il fallait d’abord dresser une liste de ces films. Ce n’était pas mince affaire : consulter des cinémathèques dans le monde, des historiens du cinéma, Les cahiers du cinéma. Les membres de Connaissance du cinéma établirent leur liste. Un carrousel étourdissant de titres de films, de noms de cinéastes : Potemkine, La passion de Jeanne d’Arc, la Grande illusion, Intolérance, Le cabinet du Dr Caligari, Birth of a Nation, Rashomon, L’Ange bleu,
Brief Encounter, Les enfants du paradis, l’Atalante, Rome, Ville ouverte, etc., etc.; Dreyer, Renoir, Clair, Von Steinberg, Ford, Eisenstein, Vigo, Bunuel, Gance, Keaton, Flaherty, Ray, Lang, etc..
Il y avait également l’aspect financier, l’organisation des projections, trouver une salle, etc. « Le York coûterait 450 $ le lundi soir, 150 $ le mercredi soir à 11h 30, l’Horpheum est disponible à 125 $, 150 $ le lundi soir, l’équipement est vieux (1936). Les salles hors la rue Ste-Catherine seraient disponibles. Pour le Gésu tout est loué pour 1963-64, pas de réponse pour l’Élysée » etc., etc. Une autre difficulté c’était les copies de films. Les cinémathèques du monde détenaient des copies, dont la cinémathèque française ; mais Langlois, son directeur, s’était retiré de la Fédération internationale des Archives de film (F.I.A.F.). Nous naviguions sur une mer agitée, mais Guy tenait la barre solidement. J’ai toujours pensé que Guy, s’il n’avait pas été entièrement pris par le cinéma, aurait pu faire carrière dans le monde diplomatique.
Le projet des 120 meilleurs films ne se réalisera pas, mais une rétrospective des films de Jean Renoir sera élaborée. Suite à cette année intense, nous avons écrit quelque part : « Nous somme d’avis que le temps est propice pour jeter les bases d’un organisme qui pourrait assurer toutes les fonctions d’une cinémathèque nationale. » C’est ainsi que fut fondé la cinémathèque un soir du mois d’octobre 1963.
Salut Guy !
Jacques Giraldeau
Cinéaste[1] Appareils de montage
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Marcel Carrière
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Guy L. Coté et le film Tranquillement, pas vite
Rendre hommage à Guy L. Coté, évoquer le film Tranquillement, pas vite et parler de la Communauté que nous formions alors et sans l’existence de laquelle ce film n’aurait pas pu se réaliser, est-il possible sans faire état d’un certain sentiment de tristesse qui — tout soudain! — nous étreint ?
Plusieurs membres de cette Communauté fondée il y a plus de quarante ans ont en effet disparu. Guy nous a quittés trop jeune, il y a déjà près de 20 ans, ainsi que plusieurs autres : Laetitia, dans un accident d’avion, Robert, à la suite d’une longue maladie…
En ce début d’année 2014, nous sommes plusieurs à nous rendre régulièrement au chevet d’Yves Gosselin, notre animateur fondateur. Nous allons visiter à l’hôpital un ami, un compagnon, un frère qui vit des jours difficiles.
D’autres à Toronto, à Memramcook ou à Paris éprouvent les mêmes sentiments à l’endroit d’Yves, sans toutefois pouvoir se rendre à son chevet. Que des personnes de cette Communauté, après 40 ans, manifestent une telle solidarité, témoigne de la profondeur des expériences de fraternité qui furent vécues alors. Aujourd’hui, quand nous nous rencontrons, nous constatons que cette fraternité est toujours aussi vivante même si les cheminements de vie des uns et des autres offrent une très grande grande diversité.
La Communauté de base
En 1968, quelques personnes se réunissaient au Couvent des Dominicains avec pour objectif de vivre une expérience de foi à l’intérieur de ce qu’on appelait alors une Communauté de base. Nous étions les enfants, à la fois, de la Révolution tranquille et du concile Vatican II, c’est tout dire. Rapidement, d’autres personnes se joignent à ce premier noyau.
Fait remarquable et peu souvent noté, les personnes de notre communauté provenaient de milieux fort variés. Guy L. Coté, chimiste de formation, était allé à Oxford avec une bourse Rhodes pour y faire un doctorat en chimie. Il a choisi, il est vrai, de faire du cinéma, mais sa formation initiale de scientifique l’a profondément marqué. Nous étions, d’ailleurs, plusieurs scientifiques, physiciens, biochimiste, biophysicienne, ingénieurs, informaticiens et, en tant que tels, nous avions certaines connivences avec les manières de penser de Guy. Plusieurs des nôtres venaient du milieu de la philosophie, de la théologie et des sciences humaines et sociales. Le monde des affaires était aussi représenté. Sur le plan politique, il y avait des indépendantistes et des fédéralistes; la grande question politique des années ’70 rendait certains indécis. Quelques familles avaient déjà de jeunes enfants, d’autres attendaient un bébé pendant ces années-là et il y avait aussi des célibataires, dont un groupe d’étudiants universitaires. La plupart des membres étaient québécois, mais il y avait aussi de nouveaux Canadiens venant de France, de Belgique, du Royaume-Uni.
Malgré cette grande diversité de formation et d’option politique, il y avait au sein de la Communauté une entente et une vision commune de la vie.
Dès le début, nous avions décidé que la communauté serait dirigée par deux animateurs élus parmi nos membres. Les deux premiers animateurs furent Yves Gosselin, o.p. et Louis Rousseau. Les animateurs jouaient un rôle fondamental pour veiller à la bonne marche de la Communauté et à l’entente entre les membres. Ils avaient quelquefois à régler des conflits. Ils étaient responsables de susciter la créativité, de maintenir les objectifs retenus et animer les différentes activités.
Nous avions décidé que la vie de la communauté serait axée selon quatre lignes de force :
- la fraternité,
- les engagements dans le monde,
- la prière et les célébrations
- et finalement le ressourcement et l’approfondissement de la foi.
La fraternité chrétienne dont parle Jean-Paul Audet dans le film Tranquillement, pas vite, nous l’avons vécue. C’était une fraternité qui, habituellement, allait de soi, mais qui pouvait aussi poser quelques problèmes. Le film traduit bien le climat de chaleur humaine qui était vécu entre nous.
Nous nous réunissions chaque dimanche, habituellement chez un des membres et nous participions à l’eucharistie qui était présidée par Yves Gosselin, dominicain et ultérieurement par Bernard Carrière, jésuite.
Nous passions quelques week-ends ensemble, souvent à l’extérieur de Montréal, pour vivre un quotidien dans un climat de réflexion, de fraternité et de prière. En particulier, nous accordions une grande importance à la célébration des Jours saints et de Pâques. Les célébrations d’accueil des nouveaux enfants et les baptêmes faisaient l’objet de grandes célébrations auxquelles parents et amis étaient invités.
Tranquillement, pas vite
En 1969, Guy, Nancy et leurs enfants entrent dans la communauté : ils participent pleinement aux activités et aux célébrations. Un peu plus tard, Guy nous propose de faire un film sur la situation de la religion au Québec. Après de longues discussions, une décision est prise — non unanime, faut-il le préciser? — et un petit groupe se forme afin d’aider Guy dans la réalisation de ce film. De nombreuses rencontres se tiennent au sous-sol de la maison de la rue Rockland. On décide de faire un film en deux volets. Le premier volet traite de la pratique religieuse en paroisse traditionnelle et des difficultés de la garder vivante. La seconde partie est axée sur la vie de notre petite communauté. Chaque partie du film commence par un texte important lu par Guy et un témoignage de Jean-Paul Audet. Ce texte et ce témoignage résument très bien le film et le reste du film vise tout simplement à les illustrer.
Au début, on tourne avec du matériel magnétique (cassettes vidéo BÊTA) pour habituer tout le monde à la présence de la caméra. Guy et le petit groupe s’engagent dans de longues discussions sur les sujets à traiter. Pendant que l’équipe technique travaille, la Communauté continue à vivre, souvent en oubliant la présence de la caméra et du micro. Guy et son équipe s’occupent du tournage pour le premier volet du film et on se retrouve dans la salle de montage ou dans une salle de projection de l’ONF. Il faudra choisir une heure ou deux parmi une trentaine d’heures de matériel tourné et ça ne se fera pas sans d’éternelles discussions. Certains voudraient garder telles ou telles séquences que d’autres rejettent. Finalement, on arrive à un film en deux volets qui donne satisfaction à une bonne majorité. Plusieurs des séquences non retenues étaient pourtant très bonnes et très pertinentes. On les regrettera. On peut penser, par exemple, aux réflexions d’Yves dans son canot sur le lac Ouareau à St-Donat.
Nous nous souvenons de Guy en tant que membre de notre Communauté avec affection et avec une admiration toute particulière quand nous pensons au travail accompli par notre compagnon pour mener à terme ce film qui, encore maintenant, nous tient tant à cœur. Infatigable Guy! Quelle énergie! Quelle ténacité! Tant d’imagination pour dépasser, au jour à la journée, les écueils surgissant force le respect. Rien n’était à son épreuve. Parfois, il n’en faisait qu’à sa tête; et, à d’autres occasions, contre toute attente, il abandonnait, à notre grand étonnement, des pans entiers du travail déjà accompli. Il avait en toutes circonstances sinon une solution de rechange, du moins toujours de derrière les fagots quelques propositions nouvelles, question de rebondir! Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du défi. Nous gardons un souvenir étonné et ému de son ascendant. Comment ne pas penser au Guy-L. Coté à l’œuvre tel que nous l’avons connu quand nous lisons ces vers de Boileau?
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.Au début des années ’70, Guy a eu la remarquable intuition qu’il fallait faire un film sur l’Église. Ce film a été fait.
Guy avait vu juste; son film Tranquillement, pas vite dit à sa manière la situation de l’Église du moment. On aurait pensé que ce film aurait vieilli, mais sa pertinence reste entière, ne serait-ce qu’à la lumière de la récente nomination du pape François. Deux Églises : une qui tient à garder les anciennes façons de faire et une autre dont le regard est tourné vers l’avenir. Le film a été montré dans plusieurs milieux, dont celui de l’éducation. Comme tous les films de l’ONF, il est maintenant disponible gratuitement sur le site Internet de l’ONF. Dernièrement, la Communauté chrétienne de St-Albert-le-Grand en a visionné quelques séquences dans une rencontre et les réactions ont été très positives. Tous semblaient se reconnaître dans les situations vécues il y a 40 ans par la petite communauté de croyants du deuxième volet du film. Le premier volet qui montre une Église qui se cherche et qui envisage la possibilité de détruire son lieu de culte, est encore pertinent si on en juge par ce qui est vécu maintenant dans bien des paroisses au Québec.
Durant le tournage, on nous avait prévenus qu’à la suite du film et à cause du film, la Communauté risquait de disparaître. Le risque était réel. La vitalité de la Communauté, la pugnacité dévouée du petit groupe assistant Guy et le talent de ce dernier ont fait qu’il n’en fut rien. La Communauté de base a cessé ses activités bien des années après la fabrication du film et pour des raisons historiques du moment. Elle a cessé ses activités, mais a-t-elle cessé d’exister pour autant? Quand on voit les anciens se rencontrer, par exemple à la célébration de l’eucharistie à St-Albert-le-Grand, on a bien l’impression qu’elle existe toujours. Plusieurs membres de la Communauté de base sont maintenant dispersés ici et là. Quatre ou cinq sont maintenant retournés ou établis à Paris et on essaye de se rencontrer autant que faire se peut. D’autres sont à Toronto, une psychiatre, un informaticien et une ingénieure qui est religieuse dans la Communauté des Xavières. Chaque fois qu’on se revoit, la vie de la Communauté revient et tout se passe comme si c’était hier que nous étions ensemble. C’est toujours une grande joie de nous rencontrer. À ce titre, le film Tranquillement, pas vite est pour nous, désormais, un lieu de mémoire; et, pour le Québec, une précieuse pièce d’archive.
La vie continue
Chacun de nous, dans sa cité et dans ses activités, s’occupe de sa famille et de sa profession. Plusieurs ont des activités de personnes à la retraite; souvent en tant que bénévoles et dans différents organismes ici et là. Mais tous reconnaissent que la période de leur vie au sein de la Communauté de base, les aura marqués à jamais. La chaleur qui se dégage des rencontres entre nous, encore maintenant, ne peut mentir. Ce fut une expérience de vie pleine de chaleur, de fraternité, de bonheur dans la foi en la personne du Christ. Jean-Paul Audet, admirablement saisi par la caméra de Guy L. Coté, avait raison.
C’est l’évangéliste Jean qui faisait dire au Christ :
C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés.
Jean-Robert Derome et Pierre Feuvrier
Lundi 13 janvier 2014